Skyrock figure parmi les rares gros réseaux
indépendants de la FM française, et avait déjà fait parler d'elle dans le passé pour
certains
dérapages sur son antenne et ses déboires avec le CSA, notamment concernant
l'attribution
des fréquences. Mais ce qui s'était passé le 12 avril 2011 aurait pu menacer
l'indépendance de la station "première sur le rap"...
Ce jour là, Difool ouvre sa radio libre à 21h par une
nouvelle que lui et son équipe viennent d'apprendre par communiqué de presse :
Pierre Bellanger, patron et fondateur de Skyrock, a été démis de ses
fonctions la veille. A la suite d'un conseil d'administration, Axa Private
Equity, actionnaire majoritaire de la radio (à 70%), a décidé de nommer Marc
Laufer (ex-NextRadio TV) directeur général de Skyrock et du groupe. Objectif :
"renforcer la gouvernance du groupe afin d'assurer sa réussite opérationnelle
et financière". Pierre Bellanger, lui, reste président du conseil
d'administration. Mais celui-ci ne l'entend pas de cette oreille, et un bras de
fer se lance entre lui et l'actionnaire majoritaire de sa radio.
SON - Le jingle diffusé annonçant que l'avenir de Skyrock est menacé (avril 2011)
A Skyrock, l'équipe est sous le choc, et décide de
casser l'antenne pour suivre l'affaire en direct et soutenir leur patron. Les
auditeurs sont appelés au soutien à travers une annonce alarmiste, qui
relaient l'information sur les réseaux sociaux qui ont joué un rôle majeur
concernant la médiatisation du mouvement (plus de 70 000 sur Facebook en
l'espace de quelques heures). De nombreuses pages de soutien à Skyrock se créent
en parallèle. Suite à ce buzz rapide, Skyrock lance officiellement sur sa page Twitter un appel à la mobilisation le lendemain, mercredi 13 avril. En 3
jours, la page Facebook "Défendons la liberté de Skyrock" atteignait les 400 000
fans. Un grand concert de soutien était prévu sur l'esplanade du château de
Vincennes, mais n'avait pas pu avoir lieu faute d'autorisations du Ministère de
la Défense, dont l'espace relève de son autorité.
Les auditeurs seront très nombreux à se regrouper devant les locaux
de la radio, voire même à l'intérieur. Des artistes rap et r'n'b diffusés par la
station ainsi que des politiques passent eux aussi dans les studios, et prennent
le micro pour exprimer leur soutien à Skyrock. Pierre Bellanger, pendant ce
temps, s'enferme dans
son bureau à Skyrock, tandis que la foule bloque l'accès dehors à Marc Laufer.
Ce dernier avait pourtant cherché à rassurer tout le monde en promettant de ne pas
toucher aux fondamentaux de la radio, ainsi qu'au format urbain de la radio.
Le lendemain, L'Express
dévoile un nouveau coup de théâtre inattendu : Skyrock serait à vendre ! Le magazine avait dévoilé qu'un
mandat a été confié à la banque d'affaires de Jean-Marie Messier pour étudier
une vente totale ou partielle du groupe Skyrock. Des groupes étaient déjà très
intéressés, comme NextRadio TV, TF1 et Bolloré. Cette étude aurait eu l'accord de
Pierre Bellanger. Ce dernier s'était exprimé sur Twitter en se disant prêt à
acquérir le capital de sa radio.
Le 20 avril 2011, Bellanger trouve un soutien financier
de taille avec le Crédit Agricole. Jean-Paul Chiffet, président de la
banque, est intervenu à l'antenne ce jour à 17h pour annoncer ce nouveau
partenariat, et compte racheter 30% d'Axa Private Equity pour les apporter à une
société commune qui détiendra les 30% détenus par Pierre Bellanger. Cette
nouvelle entité sera détenue a 51% par le dirigeant et 49% par la banque. Le
"combat" aura duré près de 11 jours. Pierre Bellanger redevient majoritaire dans sa radio
avec le Crédit Agricole, et gagne son combat. D'un commun accord, Axa Private
Equity possède en mai 2011 20% du capital de Skyrock. Avec l'entrée du Crédit
Agricole dans le capital, la banque accompagnait la radio dans son indépendance
et "son action positive en tant que radio de référence de la nouvelle
génération, moteur des musiques urbaines et forum de libre expression sans
pareil".
SON - Pierre Bellanger annonce que Skyrock est sauvée (20/04/2011)
10
ans plus tard, en 2021, Skyrock et son groupe sont en bonne santé financière. La
radio a poursuivi son développement en obtenant de nouvelles fréquences,
développé sa présence sur le numérique, lancé un programme avec le Ministère des
armées, Skyrock PLM, et obtenu du CSA l'autorisation pour une deuxième radio
nationale, Skyrock Klassiks, sur le DAB+. C'est donc naturellement que le
Crédit Agricole se retire en 2021 du capital de Skyrock en ayant accompli sa
mission, et en réattribuant ses parts dans le capital à Pierre Bellanger, qui en
reprend le plein contrôle.
Cependant, le départ forcé de Bellanger aurait-il vraiment
menacé l'avenir de Skyrock ? Difficile de le savoir... Pierre Bellanger est à la tête de la station depuis sa
création, et il est en effet difficile d'imaginer ce à quoi ressemblerait
Skyrock après son départ (on pourrait en dire autant d'NRJ sans Jean-Paul Baudecroux)
et si l'ADN et le ton libre de Skyrock seraient maintenus.
La crise qu'a vécue Skyrock avait par ailleurs été nuancée par plusieurs personnes pensant à une manipulation des auditeurs, tandis que des rappeurs
comme Akhenaton et Faf Larage, dans une interview au site MusicActu, avaient
critiqué la playlist de Skyrock ; "Je peux comprendre que des rappeurs
soutiennent, je ne crache pas dans la soupe. Mais aujourd'hui, pour être joué,
il faut acheter de l'espace publicitaire" disait Akhenaton.
Même s'il est difficile d'imaginer une disparition,
Skyrock étant alors bénéficiaire et parmi les 10 radios les plus écoutées de
France, le départ forcé du fondateur d'une radio reste une situation
inédite, qui aura fait réagir, aussi bien en interne que chez les auditeurs.
D'autant que Skyrock est le dernier réseau à ne pas dépendre d'un grand groupe.
Et toucher à Skyrock, c'est aussi toucher à un esprit et à une "famille", on a
pu le constater ici en voyant toute l'équipe unie et mobilisée pour leur antenne et leur
patron. Une famille et un esprit qui ont accompagné une génération à un
moment de leurs vies. Et ce mouvement nous rappelle aussi que la radio se fait, avant tout, pour ses
auditeurs.