3)Le
numérique, un danger pour les radios associatives ?
Elles exploitent un tiers des
fréquences, emploient 3 000 personnes, représentent 166 des 377 dossiers de
candidature pour la radio numérique déposés sur le bureau des sages du CSA,
elles ont un poids non négligeable en audience et pourtant elles sont inquiètes.
Fin mars 2009, les 700 radios associatives ont lancé un ultime appel aux
pouvoirs publics pour demander le respect des engagements pris par le
gouvernement en leur faveur. Elles veulent aussi « participer pleinement à la
numérisation du média et à la réussite de son lancement » non sans réserves.
Elles réclament le maintien de la part significative de 25% de la ressource
hertzienne. Sur le point très particulier des multiplexes, elles espèrent
pouvoir former un panel ensemble.
Les radios
associatives s’inquiètent surtout pour leur avenir financier. L’actuel Fonds de
Soutien à l’Expression Radiophonique serait en péril après la loi sur
l’audiovisuel supprimant la publicité sur le service public : le FSER est
financé par la pub. Les radios associatives veulent un fonds de soutien
spécifique dédié au numérique. Il prendrait en charge les coûts du matériel et
de la diffusion chaque année jusqu’à l’extinction de l’analogique.
Les pouvoirs publics ont pris
conscience des difficultés des radios associatives. « On nous écoute »
reconnaît Denis Péchon, directeur d’antenne de Coloriage et responsable de la
commission RNT à la FERAROCK. Certains vont plus loin, à l’image du conseil
régional d’Ile-de-France.
Jean-Baptiste
Roger. Conseiller technique chargé des TIC (Technologies de
l’Information et de la communication) :
« La région Ile-de-France va
aider les 28 radios associatives de son territoire selon deux principes : une
aide à l’équipement autour d’un montant de 15 000€ jusqu’à un plafond de 66% de
dépenses. Pour une radio achetant du matériel ou passant au tout numérique, la
région prendra les deux tiers du coût de l’équipement à sa charge, et ce
versement peut s’effectuer tous les 3 ans. L’autre aide concerne la diffusion :
15 000€ par an maximum modulés en fonction de la taille de la radio et de ses
recettes avec un plafond de 50% de son budget. Le tout en plus des aides du FSER.
Donc les radios
franciliennes n’ont pas à s’inquiéter pour le passage au numérique ?
Le passage au numérique est de
toute façon difficile. La plupart des radios associatives de la région
connaissent des difficultés financières. Je ne sais pas si les montants seront
suffisants mais on estime que couvrir les deux tiers d’une dépense permet
d’amorcer un virage vers le tout numérique.
Toutes les radios sont
concernées, même les nouvelles ?
On a fait en sorte d’aider les
28 radios actuelles, mais si il y en a des nouvelles on verra ce que l’on peut
faire. Il y a une certaine condition d’ancienneté, on étudiera au cas par cas.
Ces radios représentent 3,5% de l’audience régionale. L’idée c’est que personne
ne soit en dehors du chemin.
Et vous avez l’impression
que les ondes passent bien entre les différents acteurs, l’Etat, le CSA, les
radios et vous ?
Ça pourrait mieux se passer.
Quand on reçoit des responsables de radios associatives, certains sont très au
courant, d’autres donnent plutôt l’impression de subir les choses. Il y a un
déficit d’information sur ce qui va se passer, sur le calendrier, sur la manière
de faire, les aides développées par les uns et les autres. On a essayé de
rassurer tout le monde mais on n’est que la région et il y a des différences de
compréhension du dossier. »
Sur Internet, la mobilisation des radios
s’organise au travers du collectif « radios
libres en lutte » qui a lancé une pétition signée par plus de 3 000
personnes :
« Nous voyons (dans la radio
numérique NDLR) une mise en danger des radios associatives non commerciales,
une volonté d’uniformisation du paysage radiophonique et la consécration d’une
conception technocratique de l’audiovisuel. La « diversité » numérique
s’annonce davantage comme la multiplication de programmes clonés que comme une
ouverture aux alternatives, aux minorités et aux expérimentations. (…) L’État,
les réseaux et les industriels organisent et vantent la ruée vers le numérique,
mais dans le même temps les fréquences associatives non commerciales sont
averties, comme aux débuts de la FM, que les places seront rares. (…) Que les
radios de catégorie A souhaitent ou non répondre à l’appel à candidatures sur la
RNT, elles sont de toutes façons piégées puisqu’elles n’ont en l’état aucun
moyen d’émettre en numérique. Par conséquent, nous demandons : que la bande FM
soit maintenue sur le long terme ; que le passage au numérique n’occasionne
aucune suppression de radio associative non commerciale, qu’elles puissent
effectuer la transition vers le numérique quand elles le souhaiteront (…).
Denis Péchon, directeur
d’antenne de Coloriage, responsable de la commission RNT à la FERAROCK :
« Un des imbroglios du
numérique c’est que les zones de couverture de diffusion sont beaucoup plus
vastes que celles de la FM, alors que les projets des radios associatives
étaient principalement liés à un territoire. Nous sommes un élément de la vie
locale, demain on voit mal comment on va continuer à opérer notre zone si on
doit diffuser sur une surface 6 ou 8 fois plus grande. La radio associative a
‘’le cul entre deux chaises’’.
Et de grosses inquiétudes
financières ?
On aurait aimé que les
conditions techniques ne soient pas les conditions de sélection des opérateurs.
Le coût de la double diffusion est astronomique, peu de médias, même
commerciaux, vont les supporter. Pour une radio locale, le coût est 70 à 80%
plus cher que l’analogique. Il y a les coûts de transport du signal, d’encodage,
de diffusion du multiplexage et de l’opérateur de diffusion. Pour certaines
villes, la facture est multipliée par quatre. »
Dans ce climat morose,
certaines radios associatives en fréquence partagée tentent de profiter du
numérique pour se développer et passer de 12 à 24h d’antenne chaque jour. C'est
le cas notamment de Vivre FM, radio associative consacrée au handicap sur Paris
et l'Ile-de-France.
Jean-Marie Gauthier,
directeur d’antenne de Vivre FM :
Pourquoi avoir déposer deux
dossiers ?
Actuellement nous avons une
fréquence partagée. On sait que de toute façon avec le numérique nous garderons
cette fréquence, c’est le droit de reproduction à l’identique de l’analogique.
Mais nous, nous aimerions avoir une fréquence pleine, émettre 24h/24. On a donc
tenté le coup, on ne sait jamais. C’est sûr, on aura au moins la demi-fréquence,
notre dossier est recevable, mais on peut espérer plus.
Malheureusement, le CSA n’a pas
accéder à la demande de Vivre FM qui restera en temps partagé sur le numérique.
La station, mécontente de ce choix, demande le réexamen de son dossier par les
sages. D’autant plus que de nombreuses autres radios parisiennes en temps
partagé ont obtenu une fréquence pleine en numérique. Vivre FM prend le parti de
ses auditeurs. Les personnes en situation de handicap ont souvent des problèmes
d’insomnie. Pouvoir écouter leur radio à toute heure serait pour elles un plus.
D’autant que Vivre FM est la seule radio dédiée aux personnes handicapées.
Pourquoi aurait-elle une fréquence partagée alors que d’autres communautés
(religieuses ou non) ont une fréquence pleine ? Et sachant que le handicap
concerne environ 10% de la population française ? C’est du service public.
La solution c’est
sans doute l’union, comme à Nantes. 6 radios associatives (Prun, Sun, Jet FM,
Alternantes, Fidélité et Euradio) décident de faire front commun en créant le
Groupement des Radios associatives de la métropole nantaise. Selon eux c’est la
seule solution qui garantit la survie du secteur associatif avec le numérique.
Ils envisagent de se regrouper dans un multiplexe où ils seront majoritaires et
pourront donc choisir leur mode de diffusion, à savoir l’autodiffusion et non la
diffusion par un intermédiaire (TDF, Towercast) deux fois plus chère. Leur
volonté a un coût : 250 000€. Mais les collectivités locales se sont dit prêtes
à les aider et d’autres villes s’intéressent à elles.
Difficile donc d’imaginer une
disparition des médias associatifs, même si certains acteurs évoquent cette
éventualité en accusant les grands réseaux. Comme pour refuser de participer aux
débats, d’autres antennes comme Vallée FM (77) préfèrent ne pas présenter de
dossier par manque de visibilité. Radio Canut à Lyon ne présente pas de dossier
non plus, estimant que la radio numérique est contraire à ses valeurs. Le
malaise est bien réel, au CSA et au gouvernement de trouver un remède. Tous
attendent des aides financières et des garanties de représentation. Elles
finiront peut-être par être décidées.